Rome. C’est un processus d’accumulation, la fin du capitalisme
mondial : d’abord le déclin et la dégénérescence, et maintenant le
capitalisme cannibale, impitoyable et cupide qui se dévore lui-même avec
la rapidité d’un tire-bouchon qui s’enfonce en spirale. Aujourd’hui on
voit bien qu’il n’en a plus pour longtemps et c’est tant mieux.
Comme autrefois en Italie le parti communiste italien a fini par
mourir et comme la révolution française a fini par perdre la force qui
l’animait, les événements actuels prouvent que le capitalisme, le
système capitaliste lui aussi, a perdu la force vitale dont il
prétendait être animé. Aujourd’hui un nombre croissant de capitalistes
sont arrivés à une situation de si salvi chi puo, chacun pour soi. Plus
personne ne peut affirmer que le capitalisme est une idéologie
politique, sociale et économique qui fait avancer la société.
Devant le désastre actuel du système capitaliste, on peut dire que
l’idéologie capitaliste, sa promesse de bien-être social, était fausse
depuis le début. On ne peut plus défendre le capitalisme de bonne foi.
Marx avait raison, il y a plus d’un siècle et demi : le capitalisme
s’est détruit à force d’excès et de cupidité sans limite.
A l’arrière-plan de ce que je préfère appeler le printemps
méditerranéen plutôt que le printemps européen il y a de nombreux
symptômes d’une épidémie de rejet du système capitaliste qui se propage à
toute allure. La relation entre les mouvements de jeunes espagnols
atteints de la maladie qui campent sur les places de leur pays est
transversale. Son dénominateur commun est l’anti-système, ce qui à mon
sens signifie anti-capitalisme, même s’ils n’en sont pas encore
conscients.
Le rejet de ce qu’est et a été l’Europe. La fièvre a gagné toute
l’Europe du sud, du Portugal à la Grèce. L’atmosphère au Portugal et en
Espagne est presque identique à celle de la Grèce où les travailleurs,
surtout les jeunes, refusent de payer pour la folle cupidité du
capitalisme. Et il y a des similarités avec les renversement des
systèmes en Tunisie et en Egypte. Et maintenant en Italie, la base -la
jeunesse et les travailleurs, les chômeurs et les personnes sous-payées
et sous-employées- exige les mêmes droits que ceux que réclament les
manifestants d’Espagne, du Portugal et de la Grèce.
C’est devenu contagieux. Une fièvre. Le monde méditerranéen brûle :
on revendique la démocratie économique, la justice politique et la paix.
En Espagne, real democracia ya ! La démocratie tout de suite. Le temps
de l’indifférence semble être loin derrière. La société s’est réveillée.
Les Indignados espagnols, ces Don Quichotte modernes, ont occupé 60
places d’Espagne. Le mouvement des Indignés du Portugal est le même. Le
mouvement est acclamé et imité par les Grecs et les Italiens. En France
ils ont occupé brièvement la place de la Bastille. Le capitalisme
devrait trembler. Car quand finit l’indifférence commence l’activisme
social. De fait la révolution est déjà en route.
Il est clair que le capitalisme ne peut pas changer de nature. Le mot
réforme est devenu obscène car aujourd’hui il signifie : tout changer
pour que rien ne change. La réforme a pris le sens de changer de vitesse
pour que le fardeau de la crise économique soit supporté toujours plus
par les plus faibles et les moins protégés de la société.
Qui sont les plus faibles et les moins protégés ? Comme toujours dans
l’histoire sociale depuis plus de cent ans de capitalisme rampant,
déréglé et excessif, ce sont les classes laborieuses. Ironiquement
aujourd’hui cette classe est plus importante que jamais. Elle comprend
maintenant une grande partie de l’ancienne classe moyenne. En même temps
cependant, la classe dirigeante capitaliste a rétréci jusqu’à atteindre
le chiffre odieux de un pour cent de la population qui confisque la
richesse produite par la société et s’en sert pour asservir et humilier
les classes les plus faibles.
En Italie, les symptômes de la révolution socio-politique en marche
ont fait tout à coup une entrée fracassante sur la scène. En Italie on a
parlé de tout : les salaires qui diminuent, les prix qui montent, les
retraites qui diminuent, les travailleurs qui travaillent de plus en
plus dur, l’insécurité qui s’accroît, le chômage qui augmente ainsi que
le nombre de travailleurs précaires et l’émigration croissante des
diplômés Italiens des grandes universités vers des cieux plus cléments.
Où que vous tourniez le regard en Europe vous entendez les mêmes cris
d’indignation. Alors que la déroute financière menace l’Europe
méditerranéenne, les Indignés crient de plus en plus fort. Ce qui au
début ressemblait juste à un autre mouvement de protestation comme mai
68, a changé de vitesse et est entré dans quelque chose qui fait penser
au calme avant la tempête, une période encore non violente mais
prégnante d’une dissidence opiniâtre et persistante qui est en train de
se transformer rapidement en catastrophe socio-politique. En Espagne, au
Portugal, en Italie, en Grèce, pendant que l’élite politique lutte pour
relever l’économie du désastre où elle l’a plongée, la vie quotidienne
devient de plus en plus dure ; que ce soit politiquement, socialement ou
économiquement. Aujourd’hui les manifestations non violentes semblent
être sur le point de basculer dans la violence.
Faillite de la dette, impossibilité de négocier les bonds d’état,
plans de sauvetage sans effets et incapacité de restructurer les dettes
nous menacent. Dans cette ambiance eschatologique les Indignés
apparaissent tout à coup. Comme s’ils arrivaient de nulle part, les
jeunes éduqués des universités reliés par Internet, notamment italiens
et espagnols, dont beaucoup vivent encore chez leurs parents, sont tous
parfaitement conscients que leur pays d’après la bulle, a peu à leur
offrir si ce n’est rien du tout alors que le chômage atteint des
records, que les emplois précaires deviennent la norme et que les
services de la santé sont restreints.
Jusqu’à présent leurs revendications ont été modestes : ils demandent
que l’élite politicienne rende des comptes et réclament de nouvelles
lois électorales pour mettre fin au faux semblant de bi-partisme
espagnol et aux systèmes politiques dénaturés de l’Italie et de la
Grèce. Une réforme électorale est une exigence modeste de la part d’une
génération habituellement qualifiée de génération perdue dans le sud de
l’Europe.
Dans l’autre camp, en Eurolandia, comme aux USA, les politiciens et
les banquiers font face à la crise économique main dans la main.
C’est pourquoi on est surpris d’entendre des manifestants dire :
"Nous ne sommes pas contre le système mais nous voulons un changement
dans le système. Nous voulons un changement mais pas plus tard ; nous
voulons un changement tout de suite. Nous exigeons un changement et nous
le voulons maintenant." Mais même cette voix du peuple n’est pas
entendue.
Dans cette ambiance de désespoir socio-économique, la réforme semble
suffisante pour le futur immédiat. Mais je pense que des revendications
beaucoup plus fondamentales encore inconscientes dans la société vont
apparaître et que la pression monte avec chaque jour qui passe. Nous
savons qu’en principe les gens ne se rebellent pas facilement. Les gens
font tout ce qu’ils peuvent pour éviter les vrais conflits et autres
soulèvements sociaux ; ils vont même jusqu’à faire des compromis avec un
état policier fasciste.
De l’autre côté de la barrière, les gouvernements d’aujourd’hui sont
conscients qu’il y de la mutinerie dans l’air. C’est pourquoi il se sont
armés de toute une série de lois illégales et anticonstitutionnelles
pour l’écraser. Il est clair qu’à ce stade, l’alternative à un
renversement du système corrompu d’aujourd’hui est un état policier
permanent qui s’il parvient à améliorer encore son efficacité pourrait
durer des milliers d’années.
L’acceptation de la légitimité du Pouvoir, l’indifférence aux écarts
du Pouvoir et la passivité devant les menaces du Pouvoir contre des
ennemis extérieurs semble avoir atteint son apogée. Tout le monde
reconnaît qu’un Pouvoir qui est devenu fou doit être renversé. La fin
prévisible de l’acceptation et de la passivité pourrait engendrer une
sorte d’explosion du monde que nous n’avons jamais connue. Le choc entre
le ,peuple et les systèmes corrompus semble logiquement inévitable.
En même temps et sur un autre front, de plus en plus de gens perdent
la foi qu’ils avaient dans la non violence en dépit du fait que le
capitalisme lui-même est extrêmement violent. Si on n’est pas poli et
aimable, il y a des gens qui trouvent qu’on est violent. Mais la plus
grande violence est dans business as usual (les affaires avant tout) et
dans le capitalisme qui dévore tout, qui détruit les travailleurs, les
forêts et les océans. Nous sommes entourés par une violence normalisée
et nous ne la voyons plus. S’opposer frontalement à la violence
normalisée n’est pas un acte violent ; c’est un acte nécessaire.
Pourtant beaucoup de gens disent qu’il faut travailler de l’intérieur
du système, c’est à dire de l’intérieur du système capitaliste. Mais
tout le monde sait qu’on ne peut pas tout avoir. On ne peut pas avoir
l’air conditionné sans utiliser de l’énergie. Il ne faut pas être
économiste pour comprendre que la croissance économique illimitée n’est
pas viable. Le changement climatique est une réalité, de sorte que des
changements drastiques vont se produire dans ce domaine qu’on le veuille
ou non.
Le mot romantique "Révolution" terrifie la plupart des gens. Il y a
en effet de bonnes raisons de s’en méfier. Depuis les temps héroïques
des révolutions françaises et étasuniennes et de la grande révolution
russe, le monde a dégénéré. La révolution des étudiants des années 1960,
tout en ayant eu une influence durable à beaucoup d’égards, s’est
désagrégée dans le contrecoup de la guerre du Vietnam. La soi-disant
Révolution Orange en Ukraine était en fait un des exemples de l’abus du
terme révolution par une classe politique.
Si nous écartons l’idée de révolution armée, nous ne devons pourtant
pas confondre une révolution avec de simples réformes ou une
insurrection armée. Une insurrection est une affaire locale,
généralement spontanée et qui a un seul but. La réforme est un simple
ajustement que font les dirigeants pour se maintenir au pouvoir comme on
l’a vu encore et encore dans la Russie tsariste. Le plus souvent les
réformes sont insuffisantes, arrivent trop tard, et sont neutralisées
par des développements négatifs dans d’autres domaines.
La résistance à l’oppression entraîne une rupture entre les
oppresseurs et les opprimés. C’est le début de la révolution. Ce qui
caractérise la révolution c’est qu’elle est graduelle et insaisissable.
On ne se rend pas compte qu’on est en révolution et pourtant on y est
déjà.
L’acte de résistance et de rébellion contre un pouvoir injuste
demeure un leitmotiv de l’histoire de l’humanité. Etant donné cette
tradition, les dirigeants actuels de l’Europe doivent se demander quelle
forme prendra la prochaine explosion et quand elle se produira. Car
lorsque le fossé entre les dirigeants et le peuple devient
insurmontable, que le peuple effrayé réapprend la solidarité sociale et
qu’une résistance générale apparaît, la révolution se produit
inévitablement. Lorsqu’un peuple est parvenu à maturité, le passage
d’une étape à l’étape suivante de la chaîne dialectique est
historiquement inéluctable. Une fois qu’il a commencé, on ne peut tout
simplement pas arrêter un tel processus.
Les masses opprimées des USA et d’Europe ont jusqu’à présent semblé
étonnamment peu concernées par la perte de leurs libertés. La plupart
écarte l’idée de rébellion. De toutes formes de rébellion. Beaucoup
voient encore les USA et l’Europe comme le berceau de la démocratie et
de la liberté. Et si, par exemple aux USA -une super-puissance
chancelante, décadente et au bord du désastre- le peuple se rebellait
contre la longue et graduelle contre-révolution en Amérique sur laquelle
les historiens ne se sont pas encore beaucoup penchés ? Et si une vraie
révolution éclatait en Grèce et gagnait tout l’occident ? Est-ce de la
science fiction, de s’imaginer le peuple descendant dans la rue ? L’idée
d’une révolution est-elle si incongrue ?
La mondialisation a accéléré les crises des systèmes politiques
nationaux traditionnels en réorganisant et transformant la nature du
pouvoir et en le déléguant a des organisations politiques
internationales. Les institutions de l’Union Européenne -La Commission
européenne, le Conseil européen, la Banque Centrale européenne- ne sont
pas des représentants démocratiques élus par des majorités populaires.
Elles représentent au contraire des structures bureaucratiques et
technocratiques destinées à favoriser l’hégémonie du capitalisme à une
échelle continentale et planétaire. Pendant que le processus
révolutionnaire s’amorce à l’arrière plan, l’Europe tente de se créer un
espace vital personnel qui lui permette de s’approprier le plus
possible de ressources planétaires. La taille de cet espace sera
déterminée par la capacité de l’Union Européenne à développer un nouveau
régime d’accumulation en intégrant des territoires, des capitaux et des
travailleurs/consommateurs. En fait la vraie révolution de
l’unification des marchés mondiaux n’est pas la révolution libérale tant
vantée mais au contraire une révolution financière aux dépens de tous
les peuples qui bordent la Méditerranée.
Les protestataires du monde entier n’ont pas encore réalisé que le
facteur qui a accéléré la transformation des marchés et la dégradation
de la situation des salariés enregistrés ces dernières années a été la
dérégulation sauvage des mécanismes qui gouvernaient les transactions
financières. Cette dérégulation a entraîné le passage d’une économie
basée sur la productivité du système industriel à une économie droguée
reposant sur les transactions financières et monétaires au seul profit
de 1% de la population mondiale.
Gaither Stewart
Gaither Stewart est un éminent journaliste, ses écrits politiques,
littéraires et culturels ont été publiés (et traduits) sur beaucoup de
sites Internet et dans la presse écrite.
Pour consulter l’original : http://countercurrents.org/stewart200611.htm
Traduction : Dominique Muselet pour LGS
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