La dette et la soumission des Etats aux
banques qu'elle entraîne n'ont rien d'une fatalité. Plusieurs peuples
latino-américains s'en sont affranchis avec succès. C'est notamment le
cas de l'Argentine, du Venezuela et de l'Equateur. Nous expliquons ici
comment le gouvernement Correa s'y est pris en Equateur pour faire
passer la dette de 24 % à 11 % du PIB sans faire payer le peuple.
I. Lien entre l'arrivée au pouvoir de Correa et la lutte contre la dette illégitime
Pour comprendre la dynamique de l'audit intégral de la dette
publique en Équateur, il faut revenir sur le poids qui représentait le
service de la dette dans l'économie équatorienne et sur le rôle
important que la lutte contre cette dette illégitime a joué dans
l'arrivée de Correa au pouvoir.
a) La dette Publique en Équateur avant l'audit
a) La dette Publique en Équateur avant l'audit
La dette publique contractée par les dictatures des années 70 en
Équateur (1976-1979) n'a pas cessé de s'accroitre entre 1970 et 2007. Pendant cette période, l'État équatorien a remboursé 172 fois le montant de la dette de 1970 1 mais le volume de cette dette a été multiplié par 53.
Un exemple qui montre l'ampleur du transfert de fonds publics
équatoriens vers le système financier privé : entre 1990 et 2007, la
Banque Mondiale (à travers la Banque internationale pour la
reconstruction et le développement – BIRD) a prêté 1,44 Milliards de US$
à l'Équateur alors que celui-ci lui a remboursé 2,51 Milliards de US$
(transfert net donc d'environ1,07 Milliards de dollars uniquement avec
la Banque Mondiale).
Depuis les années 80 et jusqu'en 2005, le service de la
dette représentait environ le 50% du budget de l'état (entre 3 et 4
milliards de US$ par an) alors que les dépenses en santé étaient
d'environ 4% (autour de 400 millions de US$)2.
Comme en Grèce, la dette a été l'outil du FMI mais aussi de la
Banque Mondiale pour imposer les plans d'austérité, les privatisations
et les reformes structurelles (qui sont allées jusqu'à modifier la
constitution équatorienne à plusieurs reprises). Cela prenait à chaque
fois la forme de « lettres d'intention » (sorte de contrat qui fixait la
feuille de route des reformes à mettre en place) que l'Équateur signait
pour avoir accès à des prêts auprès de ces deux organismes au fur et à
mesure que les mesure prévues dans celles-ci devenait effectives.
Évidemment cela a impliqué une énorme instabilité politique liée aux
forts mouvements sociaux du pays, le peuple ne voulant pas accepter les
différents plans austérité qui se succédaient sans fin, ainsi entre
1997 et 2007 l'Equateur a connu 7 présidents différents (trois renversés
par des manifestation populaires: Abdala Bucaram, Jamil Mahauad et
Lucio Gutierrez).
A chaque moment de instabilité, le FMI et la Banque Mondiale en
profitaient pour restructurer la dette : à plusieurs reprises, la
restructuration de la dette s'est faite en souscrivant un nouvel emprunt
couvrant la totalité de l'ancienne dette, ce nouvel emprunt ayant des
clauses et des conditions chaque fois plus difficiles à assumer par
l'Équateur (cf ANNEXE I. Histoire de la construction de la dette
équatorienne). Profitant ainsi faire signer des nouvelles lettres
d'intention (les prix sur le marché secondaire des titres de la dette
baissaient à cause de la instabilité politique).
b) L'arrivée au pouvoir de Correa et le lien à la lutte contre la dette
Suite au soulèvement populaire qui a mené à la destitution de
Président Lucio Gutiérrez (auto-proclamé le meilleur allié de Bush!!),
le 20 avril 2005, un gouvernement de transition se met en place, le
vice-président de l'époque, Alfredo Palacio devient alors le nouveau
Président de l'Équateur. Rafael Correa est nommé alors Ministre
d'économie et des finances.
Très vite il va critiquer les projets de Traité de Libre Commerce
(TLC), mais surtout il décide de s'attaquer au FEIREP (Fondo de
Estabilización, Inversión y Reducción del Endeudamiento Público – Fond
de Stabilisation, Investissement et Réduction de l'Endettement Public).
Il s'agit d'un fond mis en place en 2002, sous la pression du FMI, par
la « Loi organique de Responsabilité, Stabilisation et Transparence
Fiscale ».
Ce fond, destiné à gérer les revenus issus de l'exploitation du
pétrole (axe principal de l'économie équatorienne) stipulait que le 70% des revenus pétroliers devaient être destinés au service de la dette publique
(paiement de la dette et achat/vente des titres pour maintenir un prix
élevé de ceux-ci), 20% devait servir à la stabilisation du prix du
pétrole et 10% devait être destiné à l'investissement social.
Correa veut faire changer la loi et mettre 80% des revenus pétroliers au service de l'investissement social (éducation,
santé, création d'emplois…) et uniquement 20% au service du paiement de
la dette. La Banque Mondiale menace alors de ne plus prêter de l'argent
à l'Équateur si une telle loi était votée.
N'ayant pas le soutien du président Palacio, Rafael Correa a
préféré démissionner (il n'est resté que quatre mois au gouvernement)
que se plier à la Banque Mondiale. Ceci devient le premier pas de la
marche qui le mènera jusqu'à la présidence de la République.
II. La Commission pour l'Audit Integral de la dette Publique (CAIC – Comision para la Auditoria Integral del Crédito Publico)
Correa prend ses fonctions le 15 janvier 2007. Il réduit tout de
suite le poids du service de la dette dans le budget de l'État à 25% (il
était de 47% en 2006). 3 Le 9 jullet 2007, Rafael Corea
crée par un décret présidentiel, la Commission pour l'Audit Intégral de
l'Endettement Public (Comisión para la Auditoría Integral del Crédito
Público –CAIC ).
La définition de l' « Audit Intégral » dans ce décret est la suivante:
« Action fiscale orienté vers l'examen et l'évaluation du
processus de contractualisation et/ou renégociation de la dette
publique, l'usage de ces ressources et l'exécution des programmes et
projets avec financement externe, avec le but de déterminer sa
légitimité, transparence, qualité, efficacité, efficience, considérant
les aspects légaux, économiques, sociaux, de genre, régionaux,
écologiques et des nationalités et peuples ».
La commission était conformée par 12 membres issus des mouvements
sociaux et des ONG équatoriens et 6 membres issus de campagnes
internationales pour l'annulation de la dette du tiers-monde et 4
représentants de l'État (Ministère de « Hacienda », Tribunal des
Comptes, Commission anti-corruption et l'administration fiscale).
Cette commission s'est réunie pour la première fois le 23 juillet
2007 et elle a rendu son rapport final au président Correa le 23
septembre 2008 et au public le 20 novembre 2008. L'assemblée
constituante, qui se réunit à partir du 30 septembre 2007 travaillera de
très près avec la CAIC (Alberto Acosta, présidente de l'assemblée
constituante état l'ancien leader du mouvement pour l'annulation de la
dette), ce qui aboutira à la rédaction de plusieurs clauses sur la dette
publique dans la nouvelle constitution (cf annexe II).
L’audit équatorienne a commencé par une enquête sur tous les documents concernant les obligations émises par l’Etat («contrat d’obligations», «contrat d'agence», «contrat de garantie", les fichiers joints, les conditions…).
Cette analyse a mis en lumière de nombreuses clauses illégitimes :
- Anticipation des échéances pour la totalité des remboursements de la dette en cas de défaut de paiement
- Révocation de la souveraineté
- Contrainte du Procureur général à signer dans le sens de la demande des créanciers
- Contrats empiétant sur les lois et la Constitution du pays
- Déclaration dans laquelle les parties affirment que le contrat ne viole aucune loi du pays, et qu’en cas d’illégitimité, il ne peut pas être contesté
De plus, en procédant à des simulations de paiement sans intérêt, cet audit a explicité les mécanismes qui génèrent la dette publique.
D’autre part, l’audit de la dette a dévoilé instrumentalisation juridique de la nation au profit des banques privées.
Ainsi la loi de « responsabilité fiscale » avait
permis de donner le privilège du paiement de la dette publique avant
toute autre dépense publique, limitant ainsi toute dépense sociale et ne
fixant aucune limite pour le cout de la politique monétaire. »
Le rapport de la commission juge que la totalité de la dette commerciale de l'Équateur est illégale et/ou illégitime. Ainsi, à
partir de novembre 2008 Rafel Correa suspend le paiement d'une grande
partie de la dette (il se déclare en « default », c'est à dire moratoire
pour tous les bonds Global 2012 et Global 2030 qui représentent le 85%
de sa dette commerciale).
Au total, Le gouvernement équatorien refuse de payer le 70% des bonds de la dette équatorienne, jugés illégitimes. Leur valeur va alors chuter d'environ 80% dans le marché secondaire. L'équateur va alors utiliser 800 millions de US$ pour acheter des bonds pour 3 Milliards de sa propre dette (cela signifie pour le pays une économie totale de 7 Milliards de US$).
Au total, Le gouvernement équatorien refuse de payer le 70% des bonds de la dette équatorienne, jugés illégitimes. Leur valeur va alors chuter d'environ 80% dans le marché secondaire. L'équateur va alors utiliser 800 millions de US$ pour acheter des bonds pour 3 Milliards de sa propre dette (cela signifie pour le pays une économie totale de 7 Milliards de US$).
En 2006, la dette publique externe était de 10,2 Milliards
de US$ et représentait le 24% du PIB. En mars 2010 son montant était de
8,68 Milliards de US$, ce qui représentait le 15% du PIB.
Selon, Piedad Mancero, économiste membre de la CAIC, les prévisions
pour le service de la dette en 2011 seraient de 11,7% du budget de
l'État (le budget 2011 est 23,9 Milliards de US$).
Aujourd'hui l'Équateur n'a plus recours au marché international de
la dette dont les agences de notation lui ont coupé l'accès. C'est pour
cette raison que l'Équateur est un des moteurs principaux de la Banque
du Sud et la nouvelle architecture financière qu'elle propose. La
construction d'une nouvelle intégration Régionale Latino-américaine est
la seule perspective possible pour que l'Équateur ne voit pas revenir
les dangers de l'endettement à nouveau.
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