Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à
Athènes. De violents affrontements ont opposé manifestants et policiers
(près de 6.000 hommes étaient déployés). Le Parlement a adopté dans la
nuit un nouveau plan renforçant les mesures d'austérité, plan exigé par
l'Union européenne, le FMI et la Banque centrale européenne. Au moins
80.000 personnes se sont rassemblées dans le centre-ville d'Athènes. Une
manifestation qui a réuni au moins 20.000 personnes a également eu lieu
à Salonique. La répression policière a été particulièrement brutale
face à une foule qui demandait la démission du gouvernement et du
Parlement.
Plusieurs
bâtiments, des cinémas, des restaurants et un théâtre ont été incendiés
dans la soirée. Des banderoles appellaient à "Un soulèvement
populaire". "C'est eux ou nous", lisait-on sur une pancarte brandie par
un groupe de manifestants aux visages masqués et qui attaquaient des
groupes de policiers. Durant deux heures, la situation est restée «hors
de contrôle», selon une source policière citée par l'AFP.
«Les
députés s’apprêtent à voter des mesures qui vont conduire à la mort de
la Grèce, mais le peuple ne va pas céder», s’est indigné le compositeur
grec Mikis Theodorakis, qui s’était joint aux contestataires à Athènes.
Dès
le début du débat, les parlementaires se sont vivement opposés malgré
le discours du ministre des finances, Evangelos Venizelos, expliquant
qu'il n'y avait guère de choix. "Le débat n'est pas entre des sacrifices
ou pas de sacrifice du tout, mais entre des sacrifices ou des
sacrifices d'une dureté inimaginables", a-t-il déclaré. Plusieurs
députés communistes et du Pasok annoncaient leur intention de voter
contre ce plan, qui a pourtant été adopté dans la nuit par 199 voix
contre 74 et 27 abstentions. Lors d'une intervention télévisée, le
Premier ministre grec, Lucas Papadémos, avait mis en garde contre le
"chaos économique" en cas de rejet.
Depuis trois jours, le pays est quasi paralysé par les mouvements sociaux, les plus importants depuis des mois.
Lire ci-dessous le reportage d'Amélie Poinssot à Athènes :
En Grèce, les classes moyennes redoutent de plonger dans un «moyen-âge social»
Une
nouvelle fois, Yannis est descendu dans les rues d'Athènes, ce
vendredi. Mais l'espoir de ce syndicaliste cinquantenaire est bien mince
de voir rejetée la nouvelle cure d'austérité concoctée par la « Troïka »
– Union européenne, Banque centrale européenne et FMI – et soumise
dimanche 12 février au vote des députés. Fonctionnaire au ministère des
finances, Yannis a vu son salaire passer de 1.700 euros net par mois
avant les premières mesures d'austérité, il y a presque deux ans, à
1.000 euros aujourd'hui.
« Avec ma femme, on a du mal à s'en
sortir, car on a trois loyers à notre charge : notre logement à Athènes,
et les appartements de nos deux enfants étudiants, l'un en Crète,
l'autre sur l'île de Zante. » En Grèce, le choix de l'université dépend
du rang obtenu au concours, et non de la ville d'origine des candidats.
Donc il arrive souvent que les enfants partent à l'autre bout du pays.
Et les rares chambres universitaires proposées par l'Etat sont réservées
aux revenus inférieurs à 12.000 euros par an : ce n'était pas le cas de
Yannis et sa femme, employée dans une pharmacie, avant la crise.
Pourtant,
la situation du couple est fragile : ils ne font pas partie de cette
majorité de Grecs de la classe moyenne qui avaient pu, jusqu'à présent,
résister cahin-caha à la crise, souvent grâce au fait qu'ils étaient
propriétaires de leur logement. « Actuellement, c'est l'équivalent de
mon salaire qui passe dans les loyers et les factures, déplore Yannis.
Et mes deux enfants doivent faire des petits boulots à côté de leurs
études. »
La solidarité familiale, un des piliers de la société
grecque, est mise à rude épreuve en ces temps d'austérité, d'autant
qu'aux premières mesures gouvernementales s'est ajoutée une profonde
récession. L'emploi fond comme neige au soleil : depuis quelques jours,
c'est officiel, le petit pays d'à peine 11 millions d'habitants a son
million de chômeurs, jeunes en tête. Près de la moitié des moins de 25
ans sont à la recherche d'un emploi.
Vendredi, devant le
parlement, Marina faisait partie des manifestants. Fonctionnaire elle
aussi, elle se serre la ceinture : « Mon fils a 18 ans, il vient de
commencer ses études. Evidemment, il habite à la maison, on ne pourrait
pas faire autrement... De toute façon même s'il travaillait, il serait
aussi à la maison : comment peut-on être indépendant avec 500 euros par
mois ? » Car parmi les nouvelles mesures qui doivent être approuvées par
la Vouli, le parlement grec, il y a la diminution de 22 % du salaire
minimum – avec un tarif spécial pour les moins de 25 ans : – 32 %.
Résultat de l'opération : 512 euros brut par mois pour les jeunes Grecs.
« Le cancer du système politique grec »
Sur
les banderoles des manifestations qui se sont poursuivies samedi, on
pouvait lire : « Vous n'avez pas été mandatés pour ce Moyen Âge que vous
nous préparez ». Et quand on voit la liste des nouvelles mesures
contenues dans le projet de loi, on comprend l'inquiétude de la
population grecque. Outre la baisse du salaire minimum, qui concerne
autant le secteur public que le secteur privé, le nouveau programme
d'austérité prévoit une baisse de 15 % des retraites complémentaires et
le licenciement de 15.000 fonctionnaires.
Pour rappel, depuis février 2010, on a vu :
la suppression des primes et la réduction des 13e et 14e mois dans la fonction publique,
la suppression des 13e et 14e mensualités des pensions de retraite,
la hausse de 4 points de la TVA,
l'abaissement du seuil d'imposition à 5.000 euros par an,
la remise en cause des conventions collectives,
un
vaste programme de privatisation d'entreprises publiques, censé
rapporter au départ 50 milliards d'euros à l'Etat en trois ans, objectif
ramené depuis à 19 milliards...
« Poussons-les à la faillite avant
qu'ils ne nous obligent à faire faillite nous-mêmes », entendait-on dans
les manifestations ces derniers jours devant le Parlement. Pour Savas
Robolis, directeur scientifique de l'Institut du travail, le centre de
recherches des syndicats grecs, le diagnostic est clair : « La
population va subir pendant dix ans des sacrifices énormes, mais ces
sacrifices ne contribueront même pas à la diminution de la dette d'ici à
2020. Cette politique d'austérité est une impasse absolue pour
l'économie grecque. »
Des affrontements et violences policières de plus en plus fréquents.© Reuters
En
fait, si l'endettement public diminue, cela sera surtout lié au plan
d'effacement de la dette, qui est négocié depuis plusieurs semaines avec
les banques et qui doit aussi être validé ce soir par l'assemblée. Il
doit permettre en effet l'échange des obligations actuelles par de
nouvelles qui auront perdu la moitié de la valeur initiale. Jusqu'à
l'année dernière, le volume de la dette grecque n'avait cessé
d'augmenter, pour atteindre 161,7 % du PIB : avec cette restructuration,
la dette publique devrait atteindre le niveau de 120 % du PIB en 2020.
Pour
la population, l'incompréhension devant les nouvelles mesures est
totale. Ainsi Vanguélis, employé du casino de Loutraki, une petite ville
au sud d'Athènes, est venu manifester dans la capitale pour ces trois
jours de mobilisation sociale. « Quand on s'attaque aux salaires du
secteur privé, ce n'est pas pour diminuer les dépenses de l'Etat ou
augmenter ses recettes fiscales. Cela va servir aux employeurs pour s'en
mettre plus dans les poches. »
De fait, les entreprises n'ont
pas attendu les futures mesures pour faire baisser les salaires ou pour
réduire le volume horaire de travail. Les salaires ont baissé de 15 % en
moyenne depuis deux ans, tous secteurs confondus, d'après la Banque de
Grèce. Certaines entreprises sont même tellement endettées que leurs
salariés ne touchent plus un centime depuis plusieurs mois. C'est le cas
dans le secteur des médias notamment. Vanguélis : « C'est simple,
faites un calcul. J'ai deux enfants. Pour une bouteille de lait, des
yaourts et du pain, il me faut 10 euros chaque matin. Ce qui signifie
300 euros par mois. De l'autre côté nous avons un loyer de 400 euros. Et
je gagne seulement 1000 euros par mois... »
Autre témoignage, autre
histoire ordinaire de la Grèce d'aujourd'hui. Pantélis est un ancien
militaire, retraité depuis peu. Sa pension s'élève à 1.000 euros
mensuels – après avoir subi 40 % de baisse. Mais il a un emprunt sur le
dos, avec sa femme. Chacun des deux devra payer encore 360 euros, chaque
mois, pendant quinze ans. « Il faut que l'on renverse ce cancer que
sont le gouvernement et le système politique grecs », dit-il.
Vendredi,
à la fin de la manifestation, il s'est adressé aux forces de l'ordre,
omniprésentes à chaque rassemblement. Il leur a dit, sur le ton de la
provocation : « L'ennemi, ce sont les 300 qui sont là, à l'intérieur du
parlement et qui sont censés nous représenter... Ce n'est pas nous, le
peuple ! » Les MAT (forces anti-émeutes) lui ont demandé d'approcher, il
s'est exécuté... Quelques minutes plus tard, il était par terre, plié
en quatre sous les coups de pieds. Les violences policières et les
débordements systématiques sont tels que de plus en plus de monde hésite
à descendre dans la rue.
Un appauvrissement massif
Restent
les plus engagés, militants et syndicalistes, qui veulent y croire
encore, et continuent d'appeler «tous les Grecs, dans la rue». Personne
en tout cas ne croit que le nouveau programme d'austérité, décidé en
échange d'un nouveau prêt de 130 milliards d'euros, va permettre
d'écarter définitivement le risque de faillite de l'Etat et celui de
sortie de la zone euro...
La menace brandie par les dirigeants
comme une épée de Damoclès tous les trois ou quatre mois depuis deux
ans, la dramatisation tous azimuts entretenue par les médias du pays,
les Grecs n'y croient plus. D'autant que les sommes prêtées ne
permettent pas vraiment au pays de souffler, elles servent à rembourser
les vieux emprunts : cette fois-ci, il s'agit de payer 14,5 milliards
d'euros d'obligations qui arrivent à échéance le 20 mars prochain. Le
cycle infernal semble ne jamais s'arrêter...
Or pendant que les
instances internationales décident du sort de la Grèce, la population,
elle, s'appauvrit. Dans la capitale, les associations d'aide aux démunis
estiment à 25.000 le nombre de SDF, parmi lesquels les Grecs sont en
nette augmentation, alors que les sans-logis étaient jusqu'alors
essentiellement des immigrés sans papiers.
Cet
appauvrissement est noté par l'antenne de Médecins du Monde en Grèce.
Selon son directeur, Nikitas Kanakis, désormais environ le tiers des
personnes qui fréquentent le centre sont des patients grecs, alors
qu'ils étaient seulement 6 ou 7 %, pour une écrasante majorité
d'immigrés, il y a encore un an : ces gens-là n'ont plus l'argent pour
payer le ticket modérateur de 5 euros à l'hôpital public. De son côté,
l'Eglise orthodoxe, palliatif d'un Etat qui n'a jamais développé de
structures sociales d'accueil, a augmenté le nombre de repas gratuits
qu'elle distribue chaque jour. Dans certains quartiers, les habitants
eux-mêmes se mobilisent pour organiser des soupes populaires.
Après
trois décennies de croissance, de crédits faciles et de culte de la
consommation, les classes moyennes grecques sont comme frappées par la
foudre. Un déclassement massif est en train de se produire qui menace
maintenant tout le pays d'un véritable effondrement social.
Amélie Poinssot
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