Des nuages noirs et bas viennent de toutes les directions menacer
l’économie mondiale : de la zone euro, des USA, de la Chine et
d’ailleurs. Aussi dès l’année prochaine l’économie mondiale pourrait se
trouver en danger. Tout d’abord la crise de la zone euro s’aggrave, tandis que l’euro
reste une devise forte : l’austérité aggrave la récession dans de
nombreux pays membres, la restriction du crédit à la périphérie et le
prix élevé du pétrole font obstacle à la reprise. Le système bancaire
de la zone euro se balkanise, les lignes de crédit transfrontalières et
interbancaires sont coupées et la fuite des capitaux pourrait se
transformer en panique bancaire dans les pays de la périphérie, si comme
c’est probable la Grèce fait une sortie désordonnée de la zone euro
dans les prochains mois.
La crise budgétaire et celle de la dette souveraine s’aggravent, le
spread des taux d’intérêt pour l’Espagne et l’Italie atteignent à
nouveau des sommets intenables. La zone euro pourrait avoir besoin non
seulement d’un plan de sauvetage international des banques (cela vient
d’être le cas pour les banques espagnoles), mais aussi pour la dette
souveraine à un moment où les pare-feux de la zone euro et de la
communauté internationale ne suffisent pas à empêcher la glissade de
l’Espagne et de l’Italie. Un effondrement désordonné de la zone euro
n’est donc pas exclu.
Aux USA l’économie s’affaiblit, la croissance du premier trimestre
n’atteignant qu’un misérable 1,9% – bien en dessous de son potentiel. La
création d’emplois a baissé en avril et mai et l’économie américaine
pourrait se retrouver au point mort vers la fin de l’année. Pire encore,
le risque d’une récession à double creux l’année prochaine augmente :
même si la fin de certains avantages fiscaux n’affecte pas trop la
croissance, la hausse probable de plusieurs taxes et la réduction de
certains transferts diminuera la croissance du revenu disponible et de
la consommation.
Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle américaine
en novembre prochain, le blocage politique lié à un ajustement
budgétaire va sans doute se prolonger. Aussi, de nouveaux conflits
portant sur le plafonnement de la dette, le risque de faillite de
l’Etat et un abaissement de la note par les agences spécialisées
pourraient affecter le moral des ménages et des entreprises, conduisant
à une baisse des dépenses et à une accélération de la fuite des
capitaux, ce qui exacerberait la chute de la Bourse.
En Extrême-Orient le modèle de croissance de la Chine est à bout de
souffle, son économie pourrait s’écrouler en 2013 alors que la chute
des investissements se poursuit et que les réformes destinées à
stimuler la consommation représentent trop peu de choses et viennent
trop tard. Une nouvelle direction à la tête du pays doit accélérer les
réformes structurelles pour réduire l’épargne publique et accroître la
part de la consommation dans le PIB. Mais du fait de la probabilité
d’une transition politique chaotique et des divergences parmi les
dirigeants quant au rythme des réformes, elles s’effectueront sans
doute beaucoup trop lentement.
Le ralentissement économique aux USA, au sein de la zone euro et en
Chine va mettre un coup de frein à la croissance des autres pays
émergents en raison de leurs liens commerciaux et financiers avec les
USA et l’UE (aucun “découplage” n’a eu lieu). Par ailleurs, l’absence
de réformes structurelles dans les pays émergents, ainsi que leur
évolution vers davantage de capitalisme d’Etat, obère la croissance et
va affaiblir leur résilience.
Enfin, les tensions qui couvent depuis longtemps au Moyen-Orient
entre Israël et les USA d’un coté et l’Iran de l’autre sur la question
de la prolifération nucléaire pourraient atteindre leur paroxysme en
2013. Les négociations en cours vont probablement échouer et un
renforcement des sanctions n’arrêtera probablement pas la progression
de l’Iran vers l’arme nucléaire. Si les USA et Israël n’acceptent pas
la simple dissuasion à l’égard d’un Iran détenteur de l’arme nucléaire,
une confrontation militaire en 2013 conduirait à un bond énorme du
prix du pétrole et à une récession mondiale.
Ces risques exacerbent déjà le ralentissement économique, les
Bourses chutent un peu partout, avec des répercussions négatives sur la
consommation et les dépenses d’investissement. Le coût du crédit
augmente pour les pays lourdement endettés, son rationnement fragilise
les PME et la baisse du prix des matières premières réduit les revenus
des pays exportateurs. L’augmentation de l’aversion au risque conduit
les agents économiques à adopter une position d’attente qui fait en
partie du ralentissement une prophétie autoréalisatrice.
En comparaison de la période 2008-2009, lorsque les décideurs
politiques avaient toute liberté d’action, les autorités monétaires et
budgétaires ont épuisé une grande partie de leurs cartouches (ou plus
cyniquement il ne leur reste plus de lapin à tirer de leur chapeau). La
marge de manœuvre en matière de politique monétaire est limitée par
des taux d’intérêt proches de zéro et des phases répétées de
relâchement monétaire. Ce ne sont plus des problèmes de liquidités qui
menacent, mais une crise du crédit et de la solvabilité. Dans les pays
riches, des déficits budgétaires et des dettes publiques insoutenables
restreignent fortement la possibilité d’un recours supplémentaire à la
stimulation budgétaire.
Le recours au taux de change pour encourager les exportations nettes
est un jeu à somme nulle, car le désendettement public et privé freine
la demande intérieure dans des pays qui connaissent un déficit des
comptes courants, et une balance commerciale excédentaire dans certains
pays suppose une monnaie plus forte et une balance commerciale
déficitaire pour d’autres.
La capacité de secourir les institutions financières et les banques
et d’isoler les activités des banques de détails des autres activités
bancaires est limitée. Cela tient à des raisons politiques et à
l’incapacité des pays au bord de l’insolvabilité d’absorber des pertes
supplémentaires dues à leur système bancaire, c’est pourquoi le risque
souverain se transforme maintenant en risque bancaire. Les Etats se
débarrassent d’une grande partie de leur dette publique pour l’inscrire
dans le bilan des banques, notamment dans la zone euro.
Pour éviter une débandade dans la zone euro, l’austérité devrait
être introduite bien plus progressivement, le nouveau pacte budgétaire
de l’UE devrait être assorti d’un pacte de croissance et l’UE devrait
décider une union budgétaire incluant la mutualisation de la dette au
moyen d’euro-obligations. L’UE a besoin d’une véritable union bancaire,
avec une garantie des dépôts dans l’ensemble de la zone euro, pour
évoluer ensuite vers une plus grande intégration politique - ceci même
si la Grèce quitte la zone euro.
Malheureusement l’Allemagne refuse toutes ces mesures fondamentales,
car elle est obsédée par le risque crédit auquel ses contribuables
seraient exposées dans le cas d’une plus grande intégration économique,
budgétaire et bancaire. Aussi la probabilité d’un effondrement de la
zone euro augmente.
Le nuage provenant de la zone euro est le plus menaçant, mais ce
n’est pas le seul qui plane sur l’économie mondiale. La tempête
approche, préparons-nous !
Nouriel Roubini
Président de RGE Monitor, Professeur d’économie à la Stern School of Business
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